Le rôle des commissions d’enquête
Les commissions d’enquête sont un outil de contrôle parlementaire. Elles sont formées pour « recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales » selon l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Par essence, leur mise en place est donc plus souvent demandée par les groupes d’opposition. Et ces oppositions ont tendance à y recourir de plus en plus souvent. La publicité des auditions et le droit de tirage accordés lors des révisions successives du fonctionnement des commissions d'enquête ont en effet redonné de l'intérêt à ces instances.
Elles se distinguent des missions d'information par leur capacité à contraindre les témoins à comparaître (y compris des Ministres en exercice) et à amplifier l'intérêt médiatique sur des sujets sensibles pour le gouvernement (repensez à la commission d'enquête sur l’affaire Benalla ou celle sur le fonds Marianne...). En clair, les commissions d’enquête sont particulièrement efficaces pour remuer le couteau dans une plaie.
Les rapports produits par les commissions d'enquête sont, au même titre que les rapports d’informations, d’excellente facture. Les professionnels des affaires publiques y trouveront autant d'éléments de pédagogie que d'arguments utiles. En particulier, les propositions figurant dans ces rapports ont une légitimité plus importante que celles émanant d’autres acteurs, en particulier privés. S’appuyer sur les conclusions et les recommandations d'un rapport pour faire avancer sa cause est à élever au rang des bonnes pratiques.
La création des commissions d’enquête
Le processus de création d'une commission d’enquête est rigoureux :
1. Il commence par le dépôt d'une proposition de résolution (PPR) par un ou plusieurs parlementaires, voire un groupe.
2. Que ce soit à l'Assemblée Nationale ou au Sénat, chaque groupe parlementaire minoritaire ou d’opposition dispose d’un « droit de tirage » pour créer une commission d’enquête ou une mission d’information par session parlementaire. Un groupe peut donc, a minima, créer une commission d’enquête ou une mission d’information par an. C'est d'autant plus pratique quand on a un groupe parlementaire dans chaque chambre.
3. Pour le reste, les PPR sont examinées par la commission permanente compétente, souvent la commission des lois. Sous réserve de leur recevabilité(1), elles sont discutées et votées en commission avant de l'être en séance publique. A noter que les scrutins sont publics en séance publique, obligeant les parlementaires à se positionner sur des sujets délicats. Le rejet d'une commission d'enquête peut donc être exploité politiquement par les parlementaires qui en sont à l'initiative.
Dans les faits, les PPR qui ne font pas l’objet d’un droit de tirage sont le plus souvent rejetées par la majorité présidentielle à l’Assemblée Nationale. Au Sénat, le groupe Les Républicains et l'Union Centriste sont à l'origine de la création du plus grand nombre de commissions d'enquête sur les dernières années.
Il est donc essentiel de garder un oeil sur les dépôts de PPR. A ce stade, on ne sait pas encore si le groupe a l’intention d’exercer son droit de tirage, sauf à ce qu’il l’ait déjà utilisé.
Le dépôt d’une PPR, qu’elle aboutisse ou non, représente quoi qu’il en soit un signal important. Il est la matérialisation de l’intérêt important de parlementaires pour un sujet qui aura des effets sur d’autres actes parlementaires (dépôt d’amendements, dépôt de proposition de lois, questions parlementaires…). Bref, il représente dans tous les cas l’apparition ou la confirmation d’une hausse d’activité pour les lobbyistes concernés.
Il est à ce titre intéressant de noter que le nombre de PPR tendant à la création de commission d’enquête est en hausse significative, que ce soit à l’Assemblée Nationale ou au Sénat.
Le fonctionnement d’une commission d’enquête
Les commissions d’enquête sont composées d’un maximum de 30 membres à l’Assemblée et de 23 membres au Sénat. Dans les faits, ces maximum ne sont atteints que pour les CE les plus médiatiques car elles sont chronophages pour les commissaires. La CE du Sénat sur Total est ainsi composée de seulement 19 membres. Avec une partie non négligeable des commissaires absents à chaque séance, les auditions sont ainsi davantage destinées aux réseaux sociaux qu’aux quelques parlementaires présents.
Une fois la CE créée, une réunion constitutive permet de nommer le Président et le rapporteur. L’un des deux rôles est dévolu à un parlementaire de l'opposition (et même du groupe à l’origine de la demande si celui-ci a exercé son droit de tirage). Le rapporteur tenant la plume, ce rôle est plébiscité par les parlementaires à l'initiative de la commission d'enquête. Les parlementaires du groupe RN l’ont appris à leurs dépens.
Quatre vice-présidents et quatre secrétaires sont également nommés. Au total, ce sont donc 10 parlementaires qui ont des fonctions importantes pour chaque commission d'enquête.
S’ensuivent au maximum 6 mois de réunions de travail en chambre et d’auditions publiques à l’écho médiatique variables selon la qualité des intervenants.
L’erreur principale commise par les auditionnés consiste à sous-estimer la dimension « grand public » de l’exercice. Si les rapports d’enquête sont malheureusement peu lus, la publication sur les réseaux sociaux d’extraits vidéos de ces auditions peuvent aboutir à de véritables situations de crises, comme l’audition d’Amélie Oudéa-Castéra par la commission d'enquête sur le fonctionnement des fédérations sportives.
Ces auditions et le travail en chambre des commissaires permettent le plus souvent la production d'un rapport d’enquête, la présentation de celui-ci en conférence de presse étant un moment médiatique important.
Il peut également arriver qu’une commission d’enquête n’aboutisse pas, soit par non production d'un rapport dans le délai de 6 mois, soit par rejet du rapport. Ainsi, en 2015, la Commission d'enquête sénatoriale sur le crédit d'impôt recherche n'a pas adopté le projet de rapport.
Les stratégies de groupes
Comme évoqué, la majorité présidentielle a peu d’intérêt à lancer une commission d’enquête. Le groupe Renaissance n’en a ainsi lancé qu'une seule depuis 2022 à l’Assemblée Nationale. Son objectif était purement politique puisqu'elle visait à enquêter sur les groupuscules d'extrême gauche liés aux évènements de Sainte-Soline. Le MODEM vote quant à lui systématiquement contre les propositions de résolution avec l’argument énoncé par Perrine Goulet « comme vous le savez, mes chers collègues, la ligne du groupe Démocrate sur les commissions d’enquête est claire : celles-ci doivent être limitées au droit de tirage annuel. » (Deuxième séance du mardi 28 novembre 2023). Le groupe HORIZONS n'a pas non plus exercé son droit de tirage.
Dans l’opposition, il y a ceux qui n’ont pas encore usé de leur droit de tirage sous la 16e législature (comme LIOT, ), ceux qui se contentent de l’utiliser (LR, le PS, le RN), et ceux qui tentent d'en créer au-delà de leur droit de tirage, à savoir le groupe LFI.
Et il faudra bien admettre que la stratégie de LFI fonctionne puisqu’ils ont réussi à lancer en 2023 trois commissions d’enquête en gagnant deux votes, à chaque fois contre la majorité présidentielle (commission d'enquête sur le modèle économique des crèches et commission d'enquête sur la gestion par l'Etat des risques naturels dans les territoires d'Outre-mer).
Les commissions d'enquête constituent l'un des rares moyens de contrôle véritablement efficaces et incarnent une facette incontournable du parlementarisme. Leur montée en puissance récente, tant à l'Assemblée Nationale qu'au Sénat, témoigne d'une appropriation croissante de ce moyen d'exister par les groupes d'opposition. Les lobbyistes doivent donc apprendre à composer avec ce nouvel outil, en commençant par surveiller les dépôts de PPR. Et quand bien même un groupe d'opposition n'exercerait pas son droit de tirage, il sera bon de se rappeler que l'Assemblée Nationale réserve sont lot de surprises sous cette législature.