Loi de finances rectificative 2022 et PJL pouvoir d’achat : nos clés de lecture pour le début de la 16e législature
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7 juin 2022

Loi de finances rectificative 2022 et PJL pouvoir d’achat : nos clés de lecture pour le début de la 16e législature

Le pouvoir d’achat a marqué la campagne présidentielle de son empreinte. Il est cohérent qu’il revienne dès les premiers dossiers législatifs du quinquennat. Un PLFR et un PJL « Pouvoir d’achat » seront donc déposés sur le Bureau de l’Assemblée Nationale fin juin pour traiter, entre autres sujets, du prix des énergies et de mesures sociales. Sauf surprise au soir du 19 juin, ces premiers dossiers risquent pourtant de ressembler davantage à une formalité pour le Gouvernement que de permettre une réelle contribution des deux chambres. Alors que peut-on attendre de l'examen de ces deux premiers dossiers ?

Principaux enseignements

  • La Constitution et la Loi Organique relative aux Lois de Finances laissent par essence peu d’espace aux parlementaires sur la définition du budget de l’Etat.

  • Dans les faits, les sujets "finances" ont laissé peu de place aux députés sur la XVème législature : seulement 4% d’amendements adoptés en moyenne sur les PLF et PLFR (hors rapporteurs et gouvernement) contre 8% sur le reste des textes.

  • Au Sénat, le taux d’adoption des amendements sur ce type de texte est plus important (23%) mais, en dehors des amendements techniques, ils sont pour l’essentiel retoqués en Nouvelle Lecture à l’Assemblée Nationale.

  • La stratégie des groupes de l’opposition consistera à tenter de sortir quelques sujets-clés du Parlement en les médiatisant.

  • En cas d’échec, l’option de repli du Sénat sera de refuser d’adopter le budget, comme en 2021, de façon à mieux pouvoir critiquer l’action du Gouvernement.

  • Du côté des néoparlementaires, notamment ceux de la majorité, ces premiers textes seront l’occasion de découvrir les sujets sur lesquels ils cherchent à se positionner.


Lois de finances : un pouvoir parlementaire réduit à peau de chagrin sous la Vème République

Contribuer à un budget et s’accorder sur ses affectations sont le fondement du "faire société". Les discussions budgétaires nécessitent de la collégialité, de la représentativité et du temps pour convaincre, prendre tous les avis en compte et s'assurer du consentement à l'impôt.

Pourtant, l’exécutif ne se substitue jamais autant au législatif que sur l’élaboration du budget de l’Etat. Si le rationalisme parlementaire a tendu à affaiblir le pouvoir législatif depuis 1958 (au profit de la stabilité), cela a en effet été encore plus le cas sur les sujets budgétaires.

Chaque année, le Gouvernement élabore un budget pour l'année suivante et le soumet au Parlement, accompagné de milliers de pages d'explications. Les parlementaires doivent l’examiner en 70 jours top chrono (lectures en commissions et navette comprise). Et les possibilités de modifications par amendement sont particulièrement limitées.

« Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique »
Article 40 de la Constitution française

La disposition constitutionnelle la plus emblématique de cette situation est l’article 40, qui empêche les parlementaires de créer de nouvelles dépenses publiques. Un parlementaire ne peut pas proposer d'augmenter le nombre de professeurs. Son amendement serait déclaré « irrecevable ». Le parlementaire de la Vème République est, qu'il le veuille ou non, économe.

Malgré l’autorégulation des parlementaires et le recours à des subterfuges désormais bien connus pour contourner partiellement cette règle (réduire les impôts, demander des rapports au gouvernement pour le contraindre à travailler sur le sujet…), plus de 15 % des amendements ont été jugés irrecevables depuis 2017 (les deux chambres confondues)1.

D’autres règles limitent encore davantage le pouvoir des parlementaires comme la règle comptable de la fongibilité asymétrique, le principe des « autorisations d’engagement » (que le Gouvernement n’est pas obligé d’engager), les décrets d’avance (qui sont des chèques en blanc), les mécanismes extra-budgétaires (comme les certificats d’économie d’énergie) qui ne sont pas soumis au Parlement…

Dans leur rapport d’information relatif à la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (la « MILOLF » pour les intimes), Laurent Saint-Martin (député LaREM, rapporteur de la loi de finances) et Eric Woerth (ex-député LR, président de la commission des finances de l’Assemblée Nationale) estimaient en septembre 2019 que « la LOLF n’a pas su rééquilibrer les relations entre le Parlement et le Gouvernement ».

Amender le PLFR et le PJL Pouvoir d’achat : prêcher dans le désert ?

Selon Gabriel Attal dans des propos relevés par Public Sénat, le projet de loi de finances rectificative « [...] est déjà travaillé, préparé et […] sera présenté dans la foulée des élections législatives pour pouvoir être adopté très rapidement ». Le ton est donné, le Gouvernement ne semble pas prévoir de modifier sa méthode sur le prochain PLFR. Et la méthode de la XVème législature, c'est une marge de manœuvre particulièrement limitée pour le Parlement.

Les taux d’adoption d’amendements sur les PLF et PLFR de la XVème législature ont été plus faibles que sur les autres dossiers législatifs à l’Assemblée Nationale.

En retirant les amendements déposés par Joël Giraud et Laurent Saint Martin, les deux rapporteurs des PLF au cours de la législature, le taux d’adoption des députés sur les textes budgétaires ne s’élève qu’à 4,4 %, soit moins d'un amendement déposé sur vingt.

Le Gouvernement, qui peut également amender son propre texte à n’importe quel étape de la navette, a quant à lui fait adopter 100 % de ses amendements.

Dans le cas où Renaissance obtenait à nouveau la majorité absolue des sièges à l’Assemblée Nationale, il n’y a pas de raison que ces chiffres, stables pendant 5 ans, évoluent.


Quelles stratégies sur ces deux premiers dossiers législatifs ?

Les néo-parlementaires de la majorité, une fois installés, auront pour mission d’apprendre le fonctionnement et les rouages d’un PLF, même s’il n’est que « R ». Les plus rapides d’entre eux chercheront à intervenir sur les sujets sur lesquels ils souhaitent se positionner pour le reste de la législature.

Pour les parlementaires de l’opposition, l’objectif sera de maximiser le coût politique pour la majorité présidentielle de cette situation de domination de l’exécutif sur le Parlement. Comment ? En déplaçant les débats hors de l’Hémicycle et en s’adressant non pas au rapporteur ou au Gouvernement mais aux médias, aux réseaux sociaux et donc aux citoyens. La majorité présidentielle ne changera de méthode que si le Parlement devient un problème politique.

A ce titre, si La France Insoumise devient le principal parti d’opposition, alors il faudra compter sur sa capacité à mobiliser sur les réseaux sociaux pour y parvenir. La Présidence de la Commission des Finances, qui pourrait être la principale prise de guerre de la NUPES à l’issue des législatives, renforcerait les passes d’armes et contribuerait à affaiblir la majorité présidentielle. Les stratèges de LaREM ne s’y trompent pas en s’en émouvant .

Du côté du Sénat, le nombre d’amendements adopté est plus important (23,2%), mais en dehors des amendements techniques, ils sont pour l’essentiel retoqués en Nouvelle Lecture à l’Assemblée Nationale. Moins puissant que LFI sur les réseaux sociaux, mais majoritaires au Sénat, la meilleure option des Républicains peut consister à rejeter le texte proposé par le Gouvernement. Ce rejet n’a aucune incidence sur l’adoption définitive du texte par l’Assemblée Nationale, mais il leur permettrait de se détacher du texte (et donc d’Emmanuel Macron) pour mieux le critiquer. Il permet également de rappeler que le rôle du Parlement consiste aujourd’hui essentiellement à adhérer ou à rejeter de façon mécanique les budgets proposés par l’exécutif.

1 Notons qu'il existe d’autres types d’irrecevabilité que l'irrecevabilité financière, essentiellement liés à la bonne organisation du débat parlementaire (les cavaliers législatifs, les amendements qui portent sur plusieurs articles etc…).

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